Une collaboration avec
l’Université McGill

Depuis 2019, la chercheuse Stefanie Blain-Moraes, de la Chaire de recherche Consciousness and Personhood Technologies de l’Université McGill, et Ariane Boulet, la fondatrice de Mouvement de passage, collaborent dans le cadre de travaux de recherche portant sur la mémoire incarnée. Un premier projet d’étude en 2021 a amené l’équipe à se pencher sur les bases neurophysiologiques des interactions humaines afin de mettre en lumière la manière dont la danse et la musique permettent aux personnes vivant avec des troubles neurocognitifs de créer des liens signifiants avec leur entourage. Un deuxième projet est en cours pour approfondir ces angles de recherche et éventuellement réduire les enjeux reliés à la solitude vécue par les résident·es en CHSLD.

L’alzheimer et les troubles neurocognitifs, qui désignent l’expérience d’une perte progressive de fonctions cognitives telles que la mémoire et le langage, deviennent plus répandus avec l’âge. On estime actuellement à 770 000 le nombre de personnes vivant avec des troubles neurocognitifs au Canada. Ce chiffre devrait atteindre un million d’ici les cinq prochaines années, ce qui signifie que nous devons réfléchir à la façon dont nous envisageons la communication avec les personnes atteintes. Selon de nombreuses organisations nationales et internationales de la santé, l’un des plus grands problèmes auxquels cette population est confrontée est la stigmatisation.

Le concept de la mémoire incarnée soutient l’idée que que le corps constitue un lieu crucial pour la construction et l’expression de l’identité, même lorsque les facultés cognitives diminuent. Il offre une nouvelle perspective à la vision « déficitaire » des troubles neurocognitifs et présente ces personnes comme des participantes actives, plutôt que comme des gens recevant passivement des soins. Il ouvre la porte à l’exploration d’autres manières d’être ensemble et vers de nouvelles possibilités d’inclusion.

Le corps possède sa propre mémoire

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Le corps possède sa propre mémoire *

En 2019, la chercheuse Stefanie Blain-Moraes a piloté un projet d’étude intitulé «Créer des liens par le mouvement entre les personnes atteintes de démence» avec son équipe de la chaire de recherche Consciousness and Personhood Technologies de l’Université McGill et le Biosignal Interaction and Personhood Technology Lab. Ariane Boulet s’est jointe au projet en proposant des séances hebdomadaires de danse et de musique adaptées de la formule Mouvement de passage à un groupe de participant·es atteint·es de la maladie d'alzheimer. Ces personnes étaient invitées à exécuter des mouvements en solo, en duo et en groupe. Les séances leur ont permis d’explorer leur capacité de bouger, de s’éveiller à leurs sensations et de se connecter aux autres, tout en apprenant en parallèle à faire confiance au groupe.

«Au début de chaque nouvelle séance, lorsqu’on se présentait aux participant·es, plusieurs ne se souvenaient plus de nous. Mais dès l’échauffement, les résident·es savaient d’emblée comment procéder. Leur façon de réagir à la musique et d’interagir les un·es avec les autres avait évolué depuis la semaine précédente. Chaque personne semblait reprendre là où elle s’était arrêtée. L’analyse des vidéos et des données physiologiques des participant·es recueillies à l’aide de capteurs nous a permis de constater que le corps possède sa propre mémoire.»

Stefanie Blain-Moraes

Tous les participants se mettent à bouger en harmonie avec Michelle. Bianca se calme petit à petit. James semble en phase avec les autres participant·es. Elsa, habituellement distraite, concentre toute son attention sur les mouvements et les exécute en silence. Helmut irradie de joie alors qu’il bouge en synchronisation avec le groupe. (Extrait tiré de l’étude de 2019)

Le projet en cours

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Le projet en cours *

En 2024, les équipes du Biosignal Interaction and Personhood Technology Lab de l’Université McGill et de Mouvement de passage ont amorcé un nouveau projet d’étude intitulé «Tracing embodied memory: a pilot study for persons living with dementia». La recherche sur le terrain s’est déployée sur huit semaines, durant lesquelles un.e musicien·ne et un·e artiste en danse ont été jumelé·es avec une personne résident en CHSLD aux prises avec une mémoire épisodique altérée, c’est à dire quelqu’un qui n’avait pas la capacité de se rappeler de la visite de l’artiste lors d’une séance précédente. La conductance cutanée, la température corporelle et la fréquence cardiaque des participant·es ont été mesurées lors de chacune des séances à l’aide d’un capteur fixé au bout de leur doigt.

L’objectif de l’étude était de développer et piloter un cadre de mesure visant à capturer les effets persistants de Mouvement de passage sur la mémoire incarnée des personnes vivant avec des symptômes de démence afin de:

•  Mieux comprendre les bases neurophysiologiques des interactions et de la conscience humaine;

• Traduire cette compréhension en technologies qui améliorent la qualité de vie des personnes peu communicatives.

Les résultats de cette seconde étude seront publiés en 2026.

Je veux rentrer à la maison

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Je veux rentrer à la maison *

Pendant un long moment, nous nous sommes regardées dans les yeux, je tenais sa main, nous faisions des grimaces. Puis, c’est par le jeu que nous avons réussi à nous rejoindre. Je faisais toutes sortes de folies. J’étais comme une enfant. Ça l’a sortie de sa boucle de pensées et de questions répétitives. Elle s’est mise à chanter et à danser avec moi, et elle m’a suivie dans cette façon d’être ensemble. Peut-être qu’elle a besoin d’une pause de sa boucle et que ces ruptures créatives lui donnent une bouffée d’air frais. 

J’ai partagé avec M. ma vulnérabilité et mon sentiment d’impuissance. Je lui ai dit que j’aimerais pouvoir l’aider, mais que ce n’était pas possible, et j’ai senti qu’elle avait reçu cela. Elle est sensible à la manière dont je dis les choses, à l’endroit d’où viennent mes paroles, et si elles sont authentiques, incarnées. 

Derrière sa boucle répétitive, on dirait qu’il y a une vraie souffrance et j’y ai eu accès aujourd’hui. Au cours de la séance, quand j’étais dans le salon avec elle, elle s’est mise à parler de cette tristesse. Je me suis demandée : « cette boucle revient-elle parce que la souffrance qui se loge derrière doit être exprimée?» Je l’écoutais vraiment, je la voyais et je la validais. Il y avait une qualité dans la relation, même si elle ne se souvenait pas du tout de qui j’étais. À la fin, elle était calme. Elle ne me demandait rien. Elle était seulement très présente. C’était vraiment beau. 

Quand elle a dit, à la fin: «Je veux rentrer à la maison», c’était différent de la façon dont elle le disait au début. Ça ne faisait plus partie d’une boucle de pensées, ça venait du cœur.

Par Ariane Boulet, à la suite à sa participation à la séance du 18 mars 2025 à titre d’artiste en danse

Crédits

Photos | Emily Gan

Projet de recherche 2024-2025
Équipe de recherche
| Stefanie Blain-Moraes, Paige Whitehead, Biosignal Interaction and Personhood Technology Lab, Chaire de recherche Consciousness and Personhood Technologies de l’Université McGill
Artistes en danse | Constance Aubry, Ariane Boulet, Isabelle Poirier, Julie Tymchuk
Musicien.nes | Olivier Lamarre et Marie Vallée
Équipe de soutien | CHSLD Bayview

Projet de recherche 2019-2021
Équipe de recherche
| Stefanie Blain-Moraes, Biosignal Interaction and Personhood Technology Lab, Chaire de recherche Consciousness and Personhood Technologies de l’Université McGill
Artistes en danse | Ariane Boulet, Joannie Douville
Musicienne | Marie Vallée
Équipe de soutien | AGI (Alzheimer Group Inc)