Récits et réflexions sur la pratique

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Récits et réflexions sur la pratique *

Procession

Parfois, certain·es résident·es ne veulent pas nous quitter lorsqu’on sort de leur chambre. Les gens nous suivent dans le corridor, et notre visite se transforme en une belle procession.

Audrey Bergeron, artiste en danse

Jasette

Certains résidents aiment jaser. « Y’a de la belle neige, han? », et voilà que je me lance dans une gestuelle évoquant une chute de flocons de neige. Leurs mots deviennent un outil pour les inviter à se connecter à mon univers dansant.

Georges-Nicolas Tremblay, artiste en danse

Porte

En tant qu’artistes privilégiant l’improvisation, on tente de se détacher au maximum de la conscience réflexive pour s’abandonner à la danse. Porter attention au surgissement du monde imaginaire nous permet d’ouvrir la porte à la découverte et à l’émerveillement partagé. J’aime me glisser dans une posture poétique, dénuée de logique rationnelle.

Ariane Boulet, artiste en danse et fondatrice du projet

Jeu

Si la personne avec qui j'entre en contact veut s’imaginer que la peluche sur son lit est un vrai chat, eh bien, tant mieux ! J’accueille ces moments de fantaisie comme des élans de plaisir. Si je tente de les « ramener à la raison », je risque de susciter la confusion, des malaises ou même de la honte. Je préfère entrer dans le jeu et créer une danse qui se coule dans leur réalité.

Julie Tymchuk, artiste en danse

Party

Je participais à ma première visite dansée à titre d’observatrice dans un CHSLD, dans Hochelaga. Dans la salle commune, les visages des résident·es étaient graves, leurs gestes, mesurés. À l’arrivée des danseur·euses et du musicien, l’ambiance a changé subitement et une énergie pure a balayé la pièce. Des résident·es ont quitté leur chaise pour se mettre à bouger et à chanter. Le party était « pogné ». J’ai dansé avec une dame. On souriait en se regardant dans les yeux. La vie pétillait dans les siens, elle pulsait dans son corps usé et, franchement, ça m’a remuée de ressentir autant de tendresse pour une inconnue. Une inconnue qui devenait précieuse. 

Mélina Schoenborn, chargée de projet

Trame sonore

J’utilise des instruments qui me sont chers et avec lesquels il est facile de marcher dans les couloirs et les chambres : le kalimba, le tambour, le carillon et la voix. Le kalimba, au son éthéré et mystérieux, amène la douceur et le calme. Il invite les résident·es à se laisser bouger de l’intérieur. Le tambour est plus dynamique, rythmique. Je m’en sers quand je sens un besoin d’ancrage ou une invitation au party ! Les bip bip bip des appareils médicaux, un préposé qui parle, un chariot qui roule... tous ces bruits participent également à la trame sonore d’une visite. 

Marie Vallée, musicienne

Merci

Un jour, tandis que je dansais dans le corridor, j’ai entrevu une femme dans sa chambre, assise devant la fenêtre. Sa tête était appuyée sur son bras, elle était perdue dans ses pensées, le regard fixant le lointain. Je suis entrée, j’ai mis ma main sur la sienne, et tout à coup, c’est comme si nous avons été propulsées au même endroit, dans son univers à elle. Ensemble, nous avons bougé nos mains. Elles s’élevaient et ondoyaient comme des volutes de fumée, c’était si beau. À la fin, la dame m’a dit: « Merci, je me sentais tellement seule. »

Isabelle Poirier, artiste en danse

L’ego

Comme artiste, je me présente devant un·e résident·e avec les meilleures intentions du monde... mais cela ne donne pas toujours l’effet escompté. Je peux être confronté à un rejet, à de l’agressivité ou à de l’anxiété. Je crois qu’il faut accueillir l’inconfort physique ou émotionnel lorsqu’il surgit, et se détacher de son ego, du désir de performer. 

Jimmy Gagnon, musicien

Tendresse

Je donne de mon énergie, mais j’ai l'impression d’en recevoir tout autant. Les résident·es prennent soin de moi, en flattant ma main, en ayant des attentions très maternelles envers moi. La tendresse surgit.

Joannie Douville, artiste en danse

Respiration

Parfois, je rencontre des résident·es dont les corps sont éprouvés par de grandes souffrances, très crispés. Je me rappelle de cette femme à qui l’on avait inséré des éponges entre les doigts pour qu’elle n’écrase pas ses propres os durant les épisodes de spasmes. J’ai mis ma main sur son épaule, et j’ai simplement respiré avec elle.

Lucy M. May, artiste en danse

Le vaste monde

Je sentais les doigts de G. trembler. Les tremblements se répercutaient dans notre danse. Puis, suivant sa transe, nos bras se sont mis à flotter et à voguer ensemble dans les airs, nos doigts entrelacés, calmes. Nos yeux ne se quittaient pas. Les siens étaient toujours à la fois loin et si proche. J’ai doucement quitté la chambre. Ses bras flottaient toujours au-dessus de ses épaules. Il n'avait pas quitté le moment. Il a dit : « Je ne tremble plus. On dirait que ce n'est pas moi qui parle, c'est mon âme. » J'ai eu l’impression de voir une personne transformée par le vaste monde du sensible.

Constance Aubry, artiste en danse

Le fil

Tisser une œuvre à partir de ce fil invisible qui nous relie démontre à quel point il est simple d’entrer en relation lorsqu’on ne veut rien, et que l’on n’espère rien de ce que devrait être l’autre.

Ariane Boulet, fondatrice et artiste en danse